mardi 31 juillet 2012

N'APPREND-ON PLUS RIEN À L'ÉCOLE ? (Valérie Segond)


LIRE L'article dans "La Tribune.fr" du 2 septembre 2010  >>>

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Il y a quatre ans, la France figurait au 17ème rang d'une étude internationale portant sur le niveau moyen des élèves de 15 ans en lecture, mathématiques et sciences. Et il se murmure que notre système éducatif serait encore plus mal classé dans la prochaine édition de cette enquête attendue dans les prochaines semaines. Comment expliquer ce déclassement continu ? Valérie Segond a mené l'enquête.

Alors que 6,6 millions d'élèves entrent aujourd'hui à l'école primaire, l'excitation des premiers jours risque de vite laisser place au doute, et pour tout dire à l'inquiétude. Du moins chez les parents qui, après les nombreux rapports publiés sur le sujet, ne peuvent plus ignorer qu'en France, l'école n'assure plus les apprentissages fondamentaux. Selon l'enquête internationale PISA menée en 2006 par l'OCDE, qui évalue les élèves de quinze ans en lecture, mathématiques et sciences, 21,7% d'entre eux ont, en France, d'importantes difficultés de lecture, contre 15% en 2000. Ce qui la place au 17ème rang des 30 pays étudiés. Qu'en sera-t-il dans la dernière édition réalisée en 2009, et qui doit être bientôt publiée ? Il se murmure que les résultats seront encore plus mauvais. Or, si l'on a beaucoup parlé des problèmes du collège, c'est bien au primaire que se nouent les difficultés futures: en 2007, près de 15% des élèves du CM2 ne maîtrisait pas les compétences de base en français, selon le ministère de l'éducation nationale, et près de 11% en mathématiques. L'évaluation de la direction de l'évaluation du ministère de l'éducation nationale (DEPP) réalisée en 2008 pour les mathématiques est encore plus sévère: elle concluait que... 41% des élèves de CM2 n'ont pas le niveau requis. Et ça va de mal en pis: en lecture, 20% des élèves de 2007 ont le niveau des 10% les plus faibles en 1987. C'est dire si le "mal apprendre" s'étend. Et ce, malgré un meilleur encadrement: entre 1980 et 2008, le nombre moyen d'élèves par classe du CP au CM2, est passé de 23,6 à 22,6 élèves.


144 jours d'enseignement contre 185 jours en moyenne en Europe

Que s'est-il donc passé ? Les rapports publics ont tous pointé des journées surchargées dues à une année scolaire trop courte (35 semaines contre 38 pour l'OCDE). D'autant qu'avec la semaine de 4 jours, il ne reste plus que 144 jours d'enseignement contre 185 jours en moyenne en Europe. Des classes de primaire plus nombreuses de 23% à la moyenne des pays de l'OCDE, sous la tutelle de maîtres moins bien rémunérés que leurs pairs malgré un temps d'enseignement plus élevé; des directeurs d'école sans pouvoir hiérarchique sur les enseignants ; une évaluation des élèves tournée vers la sanction, et les remarques négatives plus que sur leurs points forts ; enfin, des maîtres qui s'intéressent davantage aux meilleurs éléments qu'à ceux qui peinent. Il en ressort une école où l'on ne sait pas traiter les enfants en grande difficulté scolaire, dont la proportion est deux fois plus importante que dans les pays les plus performants aux tests internationaux.

Tout ceci est connu. Mais il y a une question qui, bien que centrale, n'est curieusement abordée par aucun rapport: "La vraie cause de tout cela, analyse l'instituteur Marc Le Bris, c'est l'évolution des programmes, modifiés dans leur contenu comme dans leurs méthodes pédagogiques." Fondamentalement, ajoute le professeur de mathématiques, Michel Delord, "l'introduction des mathématiques modernes, de la linguistique et de l'histoire non-chronologique dès le primaire, alors qu'ils relèvent de l'aboutissement d'une démarche cognitive, a rompu avec le principe de progression des apprentissages qui prévalait depuis Jules Ferry." Jusque dans les années 70, les programmes du primaire avaient peu changé par rapport à ceux de 1887: dès le Cours Préparatoire, on apprenait à lire couramment, comme à faire les quatre opérations. A partir de la création des cycles en 1989 par le ministre de l'éducation Lionel Jospin, et surtout des nouveaux programmes de 1995/1996, on n'exige plus que la maîtrise de la lecture et l'addition à la fin du CE1. La soustraction est désormais apprise en CE2, la multiplication en CM1 et la division, en CM2, et encore sur des petits nombres. Les unités de circonférence et de volume disparaissent des programmes du primaire.

En février 2002, les nouveaux programmes élaborés sous Jack Lang vont encore plus loin dans l'appauvrissement des contenus: la multiplication comme la division à deux chiffres comme celles des nombres décimaux, ne sont plus apprises qu'en 6ème. Et même pour la multiplication et la division des nombres entiers, les programmes de sixième sont inférieurs au niveau CE2 d'avant 1970. En géométrie, on supprime le cercle, sa division en degrés et les figures géométriques qui y sont inscrites. Résultat: en 1995, 61% des élèves de CM2 ne parvenaient pas à résoudre les problèmes proposés au certificat d'étude de 1925, que 61% des élèves avaient alors parfaitement réussi. Qu'en serait-il aujourd'hui ?

on n'apprend plus par cœur ni les tableaux de conjugaison, ni les règles d'orthographe

En grammaire et conjugaison aussi, on ne cesse de repousser au collège les notions que l'on apprenait en primaire. Après la suppression en 1995 des compléments circonstanciels, des conjonctions, des pronoms interrogatifs, on supprime en 2002 l'étude des phrases juxtaposées, coordonnées ou subordonnées. Car dans ces programmes, la grammaire n'est plus considérée comme un instrument indispensable à la maîtrise de la langue française. Et les exigences d'orthographe se réduisent à l'accord sujet/verbe ou à l'accord d'un groupe nominal, ainsi qu'à distinguer les homophones grammaticaux. En conjugaison, on ne mémorise plus les terminaisons de l'indicatif, de l'impératif et du subjonctif, on «observe les variations qui affectent les verbes» (sic). Il faut dire qu'en français, on est passé en CP, de 15 heures par semaine en 1967 à 9 heures en 2002.

Plus que dans les contenus, c'est dans les méthodes que les ravages ont été les plus profonds. On bannit de l'enseignement primaire les exercices systématiques qui créent des automatismes, et qui apprennent à apprendre. Au nom du "libre exercice de l'intelligence" et de la promotion de "l'investigation raisonnée", on n'apprend plus par coeur ni les tableaux de conjugaison, ni les règles d'orthographe, mais on "dégage" des règles, comme si les enfants étaient dès le plus jeune âge capables de reconstruire des siècles de connaissances. "L'enfant, mis au centre du système scolaire, doit construire ses propres savoirs", analyse l'instituteur Marc Le Bris, qui estime que "cette vision pédagogique repose sur une méconnaissance profonde des enfants." Et sur un déplacement de la mission de l'école, de l'instruction vers l'éducation, dans une acception politique si large que les connaissances en ressortent diluées.

Dans les nouveaux programmes publiés en 2008, le ministre Xavier Darcos restaure l'instruction, la mémorisation et l'acquisition de mécanismes. Il réintroduit la grammaire, les formes conjuguées, les accords en genre et en nombre. Il remet dès le CP la soustraction et la multiplication dans les programmes, en les utilisant dans la résolution de problèmes portant sur les longueurs, les durées, les masses et les prix. Les quatre opérations sur les nombres entiers comme sur les nombres décimaux devront être maîtrisées à la fin CM2. Avec des programmes mieux définis, il peut instaurer la liberté pédagogique des enseignants qui permet d'adapter la progressivité des apprentissages aux besoins des différents élèves, même si cette liberté se trouve limitée par la création d'un conseil pédagogique dans chaque établissement. L'inspection des maîtres est recentrée sur l'évaluation des acquis de leurs élèves, avec des exigences relevées pour que les enseignants soient incités à relever le niveau de leurs élèves. Enfin, il crée des études dirigées dans les écoles situées en zone d'éducation prioritaire. Mais ce n'est pas avant juin 2013 que l'on verra les premiers résultats de ces nouveaux programmes, qui bénéficieront aux générations nées à partir de 2002. Et ce, si les enseignants eux mêmes formés après 1970, se forment à ces anciennes méthodes d'enseignements...


Valérie Segond