mardi 16 octobre 2012

La méthode alphabétique, pourquoi ?

par Magali Gaubert, Institutrice. Lire le texte complet sur le site de Skhole.fr >>>

...  4/ Quelques principes de la méthode alphabétique :

A/ On ne devine pas. C’est un principe énoncé aux élèves dès le début, et qui sera effectif dans la pratique. Donc les mots doivent être lus jusqu’au bout, et c’est uniquement le déchiffrage qui valide la lecture des mots.

B/ Les mots proposés aux élèves sont déchiffrables. Les mots outils (est, une, un…) sont limités au strict minimum tant qu’ils ne peuvent être déchiffrés et ne sont pas mémorisés au hasard des rencontres, mais dans le cadre d’une progression  (ex. : les déterminants au pluriel : les, des , ses…).

C / La progression dans l’étude du code est rapide
Ce principe est essentiel pour deux raisons :

- Le nombre de graphèmes en français : 133 graphèmes et sous graphèmes. Si on veut étudier les graphèmes principaux au CP, il faut avancer au rythme d’environ 3 graphèmes par semaine (et jusqu’à 4, de la rentrée à mi-octobre), en prévoyant des jours de révision, et des moments où la progression est ralentie, pour travailler les confusions, approcher les structures de la langue. C’est en travaillant les graphèmes, les confusions, les difficultés de déchiffrage avec les enfants qu’on se rend compte qu’ils doivent êtres travaillés pour eux-mêmes, de façon explicite, et non « à la volée », qu’ils demandent du temps pour être maîtrisés. Une collègue s’étonnait que je fasse travailler la confusion « an » / « a-ne » (comme dans « ba-na-ne ») et me disait : « mais c’est le sens qui permet de savoir si c’est « ane », ou « an » ». Mais si le « sens », c’est ne pas être sûr d’un mot par ligne, cela s’appelle laisser des pièges et des obstacles… qui empêchent précisément de se concentrer sur le sens ! Il est important d’enlever le plus de difficultés de déchiffrage possible, pour continuer à ne pas laisser la place à la devinette et tout simplement pour que la lecture devienne facile et assurée, pour que l’enfant aille au-devant de tous les mots d’un texte.

- Il est essentiel de progresser rapidement dans l’étude des graphèmes pour une deuxième raison. Il y a eu une perte de repères sur ce dont est capable un enfant, qui fait que la progression de 3 graphèmes par semaine sera jugée trop rapide. Or c’est justement en ayant plus de « matière sonore » que l’apprentissage du code est facilité. C’est une gymnastique auditive, visuelle qui fonctionne par accumulation, habitude et comparaison. Au bout d’une semaine que l’on travaille exclusivement sur la lettre a… on ne l’entend plus ! Mais on peut le lundi de la rentrée faire « i » et « u », le mardi, « a » et « o », le jeudi « l », et lire « li », « lu », « la », « lo », le vendredi  « s », et donc lire 8 syllabes, et les mots « salut », « sali », « lasso », etc. Quel intérêt et quels repères sonores et visuels peut-on trouver en combinant avec la seule lettre m au bout d’un mois de CP ? Il est bien plus « ludique » et bien plus commode, plus structurant, d’acquérir une souplesse auditive et visuelle en combinant avec l, s, r, v, t, f, ch, m, n et avec toutes les voyelles au bout d’un mois de CP. C’est la discrimination des sons entre eux et des lettres entre elles qui donnera à l’enfant assez de matière pour asseoir ses repères. Rien n’empêche de revoir les lettres après, et d’aller au-devant des confusions, en les traitant de façon systématique. Les enfants ne s’ennuient pas : ils ont l’impression d’apprendre vraiment et rapidement ( et demandent chaque matin : « on fait quelle lettre aujourd’hui ?»). L’apprentissage de la lecture ne leur paraît pas infini, comme lorsqu’ils ont l’impression qu’il faut deviner puis mémoriser tous les mots dont chacun est considéré comme un cas particulier.

D/ Un texte lu n’est pas retravaillé le lendemain, ce qui est fastidieux et revient à faire apprendre par cœur. C’est chaque jour un texte nouveau qui est lu, puis interrogé dans sa compréhension, contrairement à la méthode mixte qui opère un découpage entre séances de lecture-découverte et séances d’appropriation sur le même texte.

E/ Différents sens sont sollicité dans les apprentissages :
Le lecteur expert paraît ne mobiliser que sa vue, mais il faut replacer l’apprentissage de la lecture dans le cadre d’un apprentissage sensualiste (de type Montessori). Dans le global, c’est uniquement l’œil qui est sollicité, dans le mixte, l’oreille et la bouche sont mal préparées à s’exercer, et souvent on demande aux enfants de lire silencieusement. Dans l’alphabétique, l’enfant entend, voit, prononce, écrit, et trouve une cohérence entre ces différents « sens » du langage, qui peut avoir valeur de réparation pour certains enfants. Audition, vue, parole, mouvement du geste d’écriture : c’est dans la synergie de ces sollicitations que l’enfant prend des repères solides en lecture, acquiert une connaissance intime de sa langue, ainsi qu’un vrai recul sur elle, et découvre le plaisir quasi musical, vocalique et consonantique, c’est-à-dire sonore et rythmique, de lire à voix haute, de prononcer les sons avant de les écrire. L’enfant de CP a besoin, une grande partie de l’année, de lire à voix haute, même quand il lit seul : c’est sa voix qui le guide, dans le tâtonnement du déchiffrage, lui permet de trouver le rythme de la phrase, de la ponctuation, et lui permet de comprendre ce qu’il lit.

F/ L’attention portée aux lettres muettes
Les lettres muettes peuvent être, au départ, signalées d’une croix sous la lettre. Elles amusent et étonnent l’enfant, qui leur porte très vite une grande attention. Un enfant initié aux lettres muettes peut faire ce genre de remarques, avant la Toussaint : « Il y a un « s » à « chats », parce qu’ils sont plusieurs. « Il y a « ent » à « jouent » parce qu’il y a plusieurs chats qui jouent ». « J’écris chat avec un «t » muet comme dans chaton ». Cette attention portée aux lettres muettes, l’habitude de lire les mots jusqu’au bout, et donc aussi les terminaisons des verbes, préparent l’enfant à l’orthographe, à la grammaire. Dans la progression alphabétique, on peut inclure une progression grammaticale, où les mots ne sont pas considérés comme des mots-outils à voir à la volée, mais à étudier pour eux-mêmes  (par exemple lire « il » « elle », et s’exercer à employer ces mots, et pour un CP, savoir remplacer à l’oral des prénoms, des personnes, des objets, par ces pronoms ; lire les déterminants « des », « les » …, et savoir passer du singulier au pluriel). Ces habitudes l’amènent, au fil du temps, à prendre de meilleurs indices de lecture, qui guideront sa compréhension (pluriel, genre, temps des verbes).

5/ Méthode alphabétique et compréhension de lecture :

Les élèves déchiffreraient bêtement, mécaniquement, mais ne comprendraient pas : c’est l’accusation principale portée à l’alphabétique.
On pourra d’abord douter de la bonne compréhension d’un élève qui n’a pas lu tous les mots du texte, en a devinés certains, confond « on » et « an », « bur » et  « bru »… En mixte, l’enfant peut croire que le texte est déjà en lui, puisqu’il lui faut le déduire, et il le réinvente à partir de quelques mots, il n’a pas conscience que chaque mot compte, en alphabétique, l’enfant cherche à comprendre le texte après l’avoir lu, et cela devint quasi simultané quand le déchiffrage est très aisé . Il y a certes des « hypothèses de lecture » parfois, à construire dans un texte, des parties implicites mais ce travail fin de compréhension ne peut être accompli qu’après le texte ait été parfaitement lu.
La distinction entre mot déchiffrable et mot indéchiffrable est occultée par les méthodes mixtes, mais la distinction entre mot connu et inconnu  (dont on ne connaît pas le sens) a été également brouillée pour l’enfant.

L’enfant de CP tombe dans sa lecture sur un mot inconnu, par exemple : « souffre ». En mixte, un enfant faible va très souvent tenter de rectifier les choses, de transformer le mot en ce qu’il connaît, une mauvaise habitude qu’il peut garder très tard dans sa scolarité, voire toujours : « souffre » va devenir, selon le contexte, « souffle », ou « sourd ». En alphabétique, l’enfant lit « souffre » et s’étonne : le mot inconnu est « reconnu comme inconnu », selon l’expression de J. Reichstadt, dans Lire : la querelle des méthodes . L’enfant sait ce qu’il sait ou ne sait pas, ses repères intellectuels sont clairs et il peut aller au-devant des mots inconnus.
Enfin qui a dit que le texte lu en classe ne serait pas expliqué avec les élèves, que les difficultés de compréhension ne seraient pas levées ? que les mots inconnus ne seraient pas expliqués ?
Bien sûr, les phrases de Boscher peuvent sembler désuètes, les textes de Léo et Léa sont parfois alambiqués au début du mins. Mais là encore, il ne faut pas confondre le lecteur expert et l’apprentissage progressif de l’apprenti lecteur : au tout début d’année, lire des mots, puis des phrases, et rapidement des textes très courts, c’est suffisant, d’autant qu’au bout de 1 mois et demi, si on a passé vite les graphèmes, on peut commencer à lire des textes un peu consistants. C’est aussi un problème de supports, plus qu’un problème de méthodes, car peu de manuels alphabétiques ont porté leur attention envers des textes de qualité et accessibles aux enfants, et le choix de manuels alphabétiques comportant des textes est très restreint.

6 / Conclusion

Un certain nombre d’idées fausses ont été véhiculées sur l’enseignement de la lecture, par un vocabulaire, des dogmes, des tabous et des interdits, des façons d’enseigner, une formation initiale et continue idéologique, et une situation de quasi-monopole dans l’édition (qui se diversifie heureusement peu à peu), au point qu’on ne sait pas si l’expression « liberté pédagogique » a un sens dans l’apprentissage de la lecture.
La méthode mixte favorise les enfants à l’aise avec les sonorités de la parole, ceux qui ont déjà un bagage linguistique et culturel, ceux qui pourront être emmenés rapidement chez l’orthophoniste et ceux dont les parents auront les compétences et la disponibilité pour leur apprendre à lire ou au moins leur aider intelligemment dans leurs devoirs.    
Le mot « mixte » évoque la mixité, la conciliation, la modernité, l’égalité, mais le « mixte » n’a rien d’un compromis : c’est une méthode inégalitaire, qui accrédite l’idée que certains seront inévitablement en échec, quand une majorité réussira. Encore cette réussite ne sera-t-elle que fort relative…
Magali Gaubert, institutrice
Quelques lectures:
Comment et pourquoi j’enseigne le BA-BA de Rachel Boutonnet
Et vos enfants ne sauront pas lire…ni compter de Marc Le Bris.
La Destruction de l’école élémentaire et ses penseurs de Liliane Lurçat
La Dyslexie, vraie-fausse épidémie  de Colette Ouzilou.
Lire, la querelle des méthodes de Jean-PierreTerrail, Janine Reichstadt, Geneviève Krick.
L’Imposture pédagogique d’Isabelle Stal.